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Masques
6 décembre 2007

jeudi matin

Au début de l'année, Mathieu regardait mon piano numérique avec le plus grand mépris : le son est atroce, le toucher est pourri, ce n'est pas un vrai piano, etc.  Certes. Et j'admets bien volontiers que mon Yamstein – comme il l'appelle – ne peut convenir à un pianiste accompli comme lui. Mais il me rend service et me permet, à moi qui suis un pianiste (presque) débutant, de travailler fréquemment, de manière relativement efficace, qui plus est sans importuner les autres. Pour le reste, je vais le plus souvent possible travailler dans un studio sur un piano acoustique.
Il y a quelques semaines, alors que je rentrais de cours, j'ai eu la surprise de trouver Mathieu dans ma chambre, assis devant le clavier ; il portait sur la tête mon gros casque qui lui faisait des oreilles de Mickey et l'avait empêché de m'entendre entrer. D'un air embarrassé, il m'a dit qu'il avait besoin de travailler un trait. Je crois qu'il était beaucoup plus gêné d'être surpris à jouer sur cet instrument si méprisable qu'à se trouver indûment dans ma chambre, dans laquelle je le soupçonne d'ailleurs de venir parfois farfouiller – deux ou trois fois j'en ai trouvé des signes. Bref, je lui ai généreusement dit qu'il pouvait utiliser le piano comme il voulait, ce que, depuis, il fait de temps à autre, de préférence en mon absence mais parfois aussi lorsque je suis là ; j'émigre alors dans la pièce commune. Durant un quart d'heure ou une demi-heure, il bosse quelques traits, fait un peu de technique, ou encore dégrossit une pièce. Et depuis, il a mis la sourdine à ses critiques.

Je l'aime bien, même s'il est un peu imprévisible. Par moments, il lui arrive d'être très drôle, de rechercher ma compagnie, à d'autres il se montre renfermé, presque bougon ; dans ces moments-là, il disparaît dans sa chambre et parle peu. Un soir, je crois l'avoir entendu pleurer mais, bien que je me sois senti triste pour lui, n'ai pas osé aller le voir. Je ne lui connais pas de relations proches, personne en tout cas qu'il reçoive ou avec qui il passe du temps. Mais il sympathise volontiers avec quelques-uns de mes amis. Mon frère, lorsqu'il est venu, l'a trouvé « bizarre », et je suppose que c'est l'impression qu'on pourrait retirer à ne le côtoyer que quelques heures. Mais moi qui vis avec lui depuis bientôt trois mois, je lui trouve plein de côtés attachants. Je crois qu'il est très complexé par son physique ; il est pourtant loin d'être laid mais il est d'un tout petit format, et sans l'affreuse moustache maigrichonne qu'il se laisse pousser, on lui donnerait quatorze ans. Sa mère l'appelle tous les jours ; je saisis parfois quelques bribes de leur conversation et plus d'une fois l'ai vu lever les yeux au ciel.
Je trouve que, comparé à d'autres, il ne bosse pas beaucoup ; il se lève tard et peut passer une après-midi entière à glander ; ou bien il traîne des heures la nuit devant son Mac. Deux ou trois fois, nous avons eu des mots, conséquence presque inévitable d'une cohabitation ; heureusement sans suite – ni lui ni moi ne sommes rancuniers. Un jour, excédé, je lui ai conseillé d'aller s'envoyer en l'air, ajoutant que cela le rendrait peut-être plus aimable ; j'ai aussitôt regretté ces paroles, qui ont semblé l'atteindre. Mais en réalité, peut-être est-ce bien cela son problème numéro un.

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