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Masques
1 juillet 2010

Depuis que mes visites à Angers se sont

Depuis que mes visites à Angers se sont considérablement espacées, je ne voyage plus guère par le train ; mais au temps où je l'empruntais régulièrement, j'ai souvent déploré que le sort ne me donnât pour voisins que rombières ou quinquagénaires bedonnants, gens laids, vulgaires ou malodorants. Vainement j'attendais que vînt s'asseoir à mon côté un beau garçon dont le charme m'aurait distrait de l'ennui du voyage. Quatre ans bien sonnés, c'est ce qu'il aura fallu pour qu'enfin mon vœu soit exaucé, avant-hier, lorsque cet Adonis s'est avancé dans le couloir du TGV, scrutant les numéros de sièges avant de s'arrêter à ma hauteur et enfin s'asseoir dans le siège voisin.
C'est très précisément mon type, celui qui de toujours m'a fait ressentir ce petit pincement des tripes : brun, élancé, de taille moyenne, un joli visage ovale aux traits fins et réguliers. Une fois qu'il s'est assis, je peux à loisir l'observer en détail, de ce discret coup d'œil en biais que tous les gays ont appris à maîtriser. Ce m'est d'autant plus facile qu'il ne me jette pas un regard. Sans doute un peu plus jeune que moi, il peut avoir dix-huit ou dix-neuf ans. Ses cheveux bruns aux reflets acajou sont savamment coiffés en avant, une longue mèche surplombe le front, défiant avec naturel les lois de la pesanteur grâce à quelque cosmétique de prix ; il a le nez droit et court ; trois poils bruns mal rasés sur le menton, et guère davantage au-dessus de la lèvre, ornent une peau légèrement mate et parfaitement lisse, et ne parviennent pas tout à fait à donner l'air mâle à ce visage encore adolescent. Lorsqu'il se lève pour fouiller dans son bagage, on peut admirer le galbe de ses fesses, idéalement rebondies, comme si elles avaient été moulées pour la paume d'une main.
Oui, il est vraiment très beau, adorable même. Hélas, c'est une sorte d'autiste, comme j'en vois tant parmi ceux de mon âge : à peine installé, il se coupe de tout et s'immerge dans son monde. De sa poche il tire un smartphone et à plusieurs reprises pianote un texto, avant de coiffer ses oreilles d'un gros casque branché sur son ordinateur portable, et de s'absorber dans un film d'animation, de la fantasy, montrant de petits personnages humanoïdes, grotesques et sympathiques, dans un décor de bande dessinée pour enfants de cinq ans. Il n'en sortira plus jusqu'à l'arrivée. De tout le voyage, il n'aura de regard ni à droite ni à gauche, pas une fois ses lèvres ne se relèveront pour un sourire, pas un son ne sortira de sa bouche. Pour lui, nous n'existons pas.

Tant pis ! Adieu, beau Jérémie — j'ai pu lire ton nom de biais lorsque tu as sorti ton portefeuille pour le contrôleur. Tu es à croquer mais je ne pourrais jamais t'aimer. Tu m'es comme un alien. Moi, ton voisin, tu ne m'as même pas vu, pas plus du reste que tu n'as vu la très jolie fille assise deux rangs plus loin. Tu es à désespérer et — je préfère te le dire franchement — avant même d'avoir commencé, tout est fini entre nous ! Car tu préfères les lutins aux humains, les réseaux sociaux aux vrais amis, Beyonce à Mozart. Je te plains et t'abandonne à ton univers schizophrène. Ce soir tu n'auras personne ; c'est F*cebook qui te souhaitera le bonsoir, et c'est ta main droite qui te donnera du plaisir avant que, tout seul dans ton lit, tu ne sombres dans un sommeil peuplé de gnomes verdâtres.

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