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Masques
1 décembre 2007

samedi matin

Si, comme Simon, il joue du violon, c'est un hasard. Si son prénom commence par S, c'est aussi un hasard. D'ailleurs il est blond, et si les choses se dénouent comme je l'espère, il sera mon premier copain qui ne soit pas brun ! Ce sera aussi le plus beau, objectivement. Les autres, c'est selon mon propre goût que je les trouvais beaux ; tandis que lui l'est d'une manière classique, et c'est d'ailleurs pourquoi jusqu'alors, je l'avais regardé sans intérêt particulier : il faut être réaliste et savoir jouer dans sa catégorie. Ma chance est qu'il n'en ait pas vraiment conscience.
Deux jours par semaine, nous avons cours dans des salles voisines et avons fini par nous lier. Je sais exactement à quel moment j'ai commencé à craquer pour lui : c'était il y a quelque temps, lors d'une journée glaciale, alors qu'insensible au froid, il répétait avec une autre étudiante, une pianiste japonaise que je connais aussi, vêtu seulement d'un polo blanc à manches courtes et d'un pantalon d'été beige, tous deux propres mais aussi froissés que s'il avait dormi avec. Je n'écoutais pas vraiment, je le regardais. Concentré mais détendu, il jouait les yeux fermés, avec sa tignasse mal peignée, ses joues mal rasées parsemées de doré, et en jouant, il avait complètement relâché son diaphragme de sorte que son ventre formait un adorable petit bidon qui tendait légèrement le polo. Je le sais, c'est ce petit renflement, parfaitement incongru sur sa silhouette mince, qui m'a fait craquer : il n'était pas ce dieu blond sans défaut, il était humain, imparfait, accessible, aimable.
Récemment, alors que nous étions chez lui à bavarder de choses et d'autres – il habite avec ses parents dans les beaux quartiers –, nous avons eu un « moment » : nous nous sommes soudain tus tous les deux, comme frappés au même instant de la même pensée. Je ne sais si d'autres éprouvent parfois cet étrange sentiment, celui d'une connexion qui, l'espace d'un bref instant, fait communiquer deux esprits, le vôtre, le sien, de sorte que vous lisez en lui comme il peut lire en vous ; puis, le moment passé, la conversation s'efforce de reprendre, mais d'une manière étrange, presque artificielle, comme si chacun tentait en vain de surmonter le trouble qui l'a envahi. Balivernes ! penseront certains…  Moi en tout cas, qui n'ai pourtant aucun goût pour le surnaturel, j'y crois pour en avoir déjà fait l'expérience il y a longtemps, dans des circonstances d'ailleurs similaires.
Nous en sommes là ; au stade du non-dit. J'aime cette phase d'attente et d'espoir, durant laquelle on ne fait qu'échanger des signaux muets ; on déchiffre chacun d'eux, on les interprète à tort ou à raison, on les revit le soir une fois seul en s'interrogeant à nouveau, parfois on tente de pousser sa chance, on teste, on éprouve ; on se sent merveilleusement vivant. Un jour, bientôt, à moins qu'il ne l'ait fait le premier, je me déciderai à déposer un petit bisou sur ses lèvres – je préfère cela aux déclarations maladroites – mais pour l'heure, je ne me sens pas pressé. Curieusement, la pensée que je puisse me tromper ne m'effleure même pas.

Je suis rentré chez moi ce week-end – c'était prévu depuis longtemps. Mais pour une fois, j'ai pris le train sans enthousiasme ; j'aurais préféré rester.

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