samedi matin

J'avais déjà remarqué que Fred est assez pudibond. Il arrive que mon frère et moi échangions des plaisanteries un peu lestes ou carrément grivoises – pas toujours du meilleur goût, j'en conviens – et, alors que ma mère se contente généralement de lever les yeux au ciel avec indulgence, lui prend presque toujours l'air pincé et désapprobateur ; je suppose que la différence vient du fait que ma mère a élevé deux mecs tandis que lui est plus habitué aux filles. Et tout à l'heure, alors qu'un échange à propos des inconvénients d'un poignet foulé était en train de déraper vers le graveleux, il nous a sèchement interrompus : « Bon, ça suffit maintenant, vous deux. C'est vrai, quoi, on est à table ! »  Bah ! je ne vois pas ce que ça a de dégoûtant…  Il avait l'air furieux et nous a battu froid jusqu'à la fin du petit déjeuner, les sourcils froncés et le visage fermé ; ma mère n'a rien dit. La plupart du temps, il s'en tient strictement à son rôle de « beau-père » et s'abstient de nous faire des remarques, si ce n'est d'un ton bonhomme qu'on ne peut guère considérer comme une marque d'autorité. J'avoue que sa réaction était tellement vive et inhabituelle qu'elle nous a surpris, mon frère et moi.

En ce qui concerne mon poignet, justement, les choses n'ont pas l'air trop sérieuses : je peux le fléchir sans problème et c'est plutôt la rotation qui est un peu douloureuse et limitée. En prime, je me suis réveillé ce matin avec sur le flanc une magnifique tache d'un jaune violacé, du plus bel effet, très sensible au toucher.

Je passerai sans doute l'après-midi avec Valentin. Nous avons le vague projet de faire quelque chose ensemble pendant les vacances de Toussaint – nous avons les mêmes dates – mais n'avons pas encore décidé quoi. Maintenant que je vais habiter Paris, il compte y venir plus fréquemment ; je n'aurai guère la possibilité de l'héberger, sinon de manière très spartiate, mais nous trouverons bien une solution.