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Masques
18 septembre 2007

mardi

Après avoir lu le Fouché de Zweig, je suis en train de terminer la biographie qu'il a consacrée à Balzac. Je ne connaissais rien de la vie de ce dernier : fils du peuple qui usurpe une particule et, toute sa vie, aspire sans succès à se faire accepter dans le monde, travailleur acharné qui reste vissé à sa table douze à quinze heures chaque jour, éternel impécunieux qui, à côté de son grand œuvre, bâcle des dizaines de romans de quatre sous qu'il publie sous des noms d'emprunt pour payer ses dettes et faire bouillir la marmite.

J'ose à peine l'avouer, cette biographie, pour intéressante qu'elle soit, m'a légèrement déçu ; pour tout dire, je la trouve un peu verbeuse et surtout, on y parle peu de l'œuvre de Balzac et pratiquement pas de ses contacts avec les milieux littéraire et artistique de son époque. Quelques noms sont à peine mentionnés, Théophile Gautier, un proche pourtant, Hugo, qui fera plus tard un beau récit de la mort de Balzac ; mais pas un mot de Liszt, à qui est dédié La Duchesse de Langeais, ni de George Sand, Delacroix ou Vigny ; j'aurais aimé en apprendre davantage sur leurs relations ; et savoir comment cet homme qui somme toute ne quittait guère son cabinet de travail a pu imaginer autant de personnages, de lieux, de situations, et restituer avec un tel réalisme la variété de milieux qu'on trouve dans la Comédie humaine.

Zweig consacre de longs passages aux liaisons amoureuses de Balzac. L'homme n'était guère séduisant, courtaud et bedonnant, d'apparence grossière, sans un sou, mais ces disgrâces ne l'empêchaient pas de sans cesse rechercher l'épouse, de préférence une femme bien née et riche qui pourrait de surcroît éponger son passif et l'entretenir.
Ce qui m'a frappé, c'est que plusieurs fois le sentiment amoureux naît chez lui à l'occasion d'une correspondance initiée par des lectrices, des femmes qui se sont reconnues dans les héroïnes dont il peint les sentiments. Toutes sont mariées à de riches aristocrates. La première, plus âgée, deviendra un temps sa maîtresse et sera fréquemment sa banquière dans les temps difficiles ; la deuxième, après l'avoir encouragé, finira par l'éconduire ; il en fera par la suite un portrait vengeur dans La Duchesse de Langeais ; enfin, il y aura Mme de Hanska, celle qui signe ses lettres du nom de « l'Étrangère » – elle vit princièrement en Ukraine –, qui ne consentira à l'épouser que lorsqu'il est déjà moribond, au bout de seize longues années d'une étrange relation à distance, et pliera bagages alors qu'il agonise, le laissant mourir seul.
Au fond, ces histoires, qui n'apportent le plus souvent que désillusion, ne sont guère différentes dans leur nature de celles qu'on vit aujourd'hui sur le net, sinon par leur « tempo » et leur durée, des mois et même des années dans un cas, quelques jours ou semaines dans l'autre. En tout cas, j'y vois plus d'un point commun avec ce que j'ai parfois connu. Dans le paysage, il y a toujours une personne esseulée qui soudain trouve un écho à son mal-être – que ce soit une femme engoncée dans les contraintes et conventions du 19e siècle, qui ne peut confier ses aspirations à personne de son entourage, ou un ado gay d'aujourd'hui se croyant seul de son espèce ; il y a aussi l'anonymat et la distance qui facilitent les confidences et aident à s'affranchir d'une certaine pudeur ; et enfin il y a l'imagination et le romanesque qui suppléent à la connaissance parcellaire que l'on a de l'autre et, peu à peu, viennent à en forger dans l'esprit une image conforme à ses propres souhaits. Et puis les mots écrits n'ont pas le même poids que les mots dits – il y manque le regard qui souvent les tempère ; parfois aussi la plume s'emballe et outrepasse la pensée. Il n'en faut pas davantage pour que les choses aillent plus loin qu'elles n'auraient dû.
Lorsque je regarde avec deux ou trois ans de recul ces relations nouées lorsque j'avais seize ou dix-sept ans, je me dis qu'il s'agissait d'une phase d'apprentissage dont j'ai probablement tiré parti, ne serait-ce que par les claques que j'ai prises ; je me dis aussi que c'était la conséquence de mon immaturité affective et que, celle-ci s'étant, j'espère, légèrement estompée depuis, je suis désormais à l'abri de pareille mésaventure. Mais ce qui est étonnant, c'est que Balzac avait, lui, trente cinq ans lorsqu'il est tombé amoureux de Mme de Hanska, et que les déconvenues qu'il avait déjà connues dans de semblables situations ne l'ont pas alerté. Se pourrait-il alors que je me trompe sur moi-même et que je puisse un jour moi aussi retomber dans ce genre de piège ?…  Je m'en protège en tout cas en limitant strictement mes contacts sur le net.

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